jeudi, avril 25, 2024
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Europe: la pandémie fait flamber le prix du cannabis marocain

C’est une conséquence étonnante de l’épidémie de coronavirus: le prix du cannabis augmente. Consommateurs et dealeurs confinés, frontières fermées, approvisionnement coupé… C’est tout l’écosystème qui est frappé de plein fouet.




BELGIQUE
« Cette semaine, mon dealer habituel m’a vendu 15 grammes de shit pour 150 euros, confie Michel, un consommateur de la région liégeoise, mais il m’a prévenu que la prochaine commande serait plus chère. »
La résine de cannabis provient du Maroc et doit franchir plusieurs frontières pour arriver jusqu’en Belgique. La fermeture des frontières et les contrôles aux douanes vont rendre le trafic plus difficile.
Même le prix de l’herbe (la fleur séchée de la plante), pourtant surtout produite aux Pays-Bas et en Belgique, est en train de grimper. « C’est 8 euros le gramme au lieu de 6, constate Jean-Marc, qui s’est fourni cette semaine à Namur. Moi, je consomme un gramme par jour, quatre ou cinq joints. J’ai un revenu très modeste. Cette augmentation fait très mal à mon portefeuille. »




« Des gens achètent en grande quantité comme le papier toilette »
« Aujourd’hui ce n’est pas encore très sensible sur le terrain, mais on s’attend à une réduction importante de la circulation de la drogue dans les semaines qui viennent, confirme Léonardo Di Bari, le directeur du centre de prise en charge des assuétudes Phénix (Namur). C’est inévitable, le confinement complique les contacts entre les dealers et les consommateurs ».
Philippe, un habitant de Bruxelles, a commandé la semaine passée 20 grammes d’herbe par internet. « Je l’ai eu à 6 euros le gramme, mais je sais que ce sera plus cher la prochaine fois. Je m’attends à une augmentation de 20%. Je connais des personnes qui ont passé une grosse commande d’un coup parce qu’ils redoutent une pénurie. Comme ceux qui ont dévalisé les rayons de papier toilette dans les grandes surfaces. »
Comment Philippe a-t-il été livré en cette période de confinement ? « Par colis postal ». Certains consommateurs ne croise jamais leur dealer : commande par messagerie comme snapchat ou sur le dark web, paiement par PC banking et livraison dans la boîte aux lettres, dans un colis bien emballé pour éviter les odeurs.




Quant aux lieux de deal, ils ont tendance à se déplacer. « Ce ne sont plus les boîtes de nuit ou les parcs publics, constate Jean-Marc, mais plutôt les parkings des grandes surfaces, ou même le trottoir devant une friterie. Bref là où les gens ont encore une raison de se trouver sans trop risquer un contrôle de police. »
Le cannabis reste un produit interdit en Belgique et en France
Plusieurs pays se sont lancés récemment dans une expérience de légalisation du cannabis. C’est le cas notamment au Canada où l’Etat contrôle désormais la production et la commercialisation du produit. En Belgique, le cannabis est encore considéré comme un stupéfiant interdit. Toutefois, depuis le début des années 2000, une circulaire ministérielle prie le Ministère public d’accorder une « priorité minimale » aux poursuites des simples consommateurs. Pratiquement, être en possession de maximum trois grammes de cannabis ou faire pousser un plant à la maison débouche sur la rédaction d’un simple procès verbal, mais pas à des poursuites pénales.




FRANCE
Contrôles accrus et fermeture des frontières ne font pas bon ménage avec le trafic de cannabis. Le produit illicite le plus fumé de France voit sa consommation fortement perturbée par l’épidémie de coronavirus, obligeant les trafiquants à se réinventer pour s’approvisionner en période de confinement.
Dans son appartement du centre d’Orléans, Cédric fume son dernier gramme de cannabis acheté il y a une dizaine de jours. « Le mardi matin, soit quelques heures avant le confinement, le prix du gramme de cannabis avait déjà doublé », dit à Reuters cet organisateur de spectacle de 53 ans, consommateur régulier, évoquant la journée du 17 mars, quand la France s’est retrouvée sous cloche. « Mais depuis, ajoute-t-il, il n’y a plus de trafic dans les rues. »
Son dealer, qui compte entre 50 et 70 clients sur l’année, s’approvisionne habituellement lui-même en Belgique et aux Pays-Bas ou bien fait acheminer de la résine de cannabis du Maroc. Avec les mesures de confinement imposées en France pour limiter la propagation du coronavirus, et les contrôles presque systématiques des voitures, il a décidé de mettre un terme à ses déplacements.




« Pour l’instant, on vit sur les stocks d’avant le confinement, mais on en voit le bout », dit celui qui touche entre 2 500 et 3 000 euros de bénéfices les mois les plus vendeurs grâce à cette activité. « La savonnette de 100 grammes a pris 200 euros de plus en quelques jours. Si le confinement continue, je vais essayer de me tourner vers des connaissances qui ont de l’herbe locale. Mais il faut que je puisse me rendre chez eux. Bref, ça va être galère », ajoute ce salarié du secteur privé.
500 euros les 100 grammes
Dans certaines villes, les services policiers ont constaté, tout comme à Orléans, de fortes hausses de prix sur le terrain. A Marseille, les 100 grammes de cannabis sont passés de 280 à 500 euros en une semaine, rapporte le syndicat Unité SGP Police. Le marché se tend à Bordeaux et à Rennes. La résine de cannabis commence aussi à se faire très rare en prison, où 20 grammes peuvent se vendre 500 euros.
Une autre source policière en région parisienne précise que le prix du kilo de cannabis chez les semi-grossistes est passé de 2.000 à 3.500 euros depuis le début du confinement. « On nous parle d’un début de pénurie », dit à Reuters Yann Bastière, délégué national investigation d’Unité SGP Police.




Le cannabis est de très loin le produit illicite le plus consommé en France, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). On estime que 18 millions de Français chez les 11-75 ans en ont testé au moins une fois au cours de leur vie, et cinq millions sont des consommateurs annuels. La drogue provient majoritairement du Maroc et transite par l’Espagne. Mais les deux pays ont fermé leurs frontières maritimes et terrestres lorsque les foyers de coronavirus européens se sont intensifiés, rendant plus difficile l’acheminement de marchandises. « Aussi bien côté marocain qu’espagnol, tout le monde fait attention à sa frontière et ce qui peut y passer », dit Yann Bastière.
Les prix n’augmentent pas partout pour autant. Dans le Val-de-Marne, les points de deal ont été désertés par la clientèle, craintive à l’idée de subir des contrôles, explique à Reuters Yvan Assioma, secrétaire régional Paris pour Alliance Police nationale. Les prix ont donc légèrement baissé.
Crainte de violences urbaines
Sur le terrain, les dealers rivalisent d’ingéniosité pour vendre leur marchandise, donnant rendez-vous dans les supermarchés ou les tabacs, seuls commerces encore ouverts, ou bien en recrutant des « joggeurs » et des livreurs à vélo. Certains profitent de la situation pour augmenter les prix, ce qui ne signifie pas pour l’instant que la pénurie est notable, dit Thierry Colombié, économiste et spécialiste du crime organisé, mais ça ne saurait tarder.




Il note que les quelque 700 réseaux existants en France se sont tournés vers les Pays-Bas, alimentés eux-aussi par le Maroc, qui disposent d’un stock confortable de cannabis. Les livraisons se poursuivent, cachées dans les marchandises encore autorisées à passer les frontières. Mais les réserves s’amenuiseront vite.
Ces perturbations risquent d’être le vecteur de tensions dans les quartiers difficiles. « La pénurie va mettre de côté tous les petits trafiquants qui, jusque-là travaillaient en flux tendu », explique Thierry Colombié, qui précise que selon les dernières études disponibles, 200 000 personnes travaillent pour ces réseaux. « On sait qu’il y a dans les cités assez d’argent pour rester dans une stratégie (…) de survie. Si vous enlevez cette stratégie de survie à des centaines de milliers de familles, ça va poser un vrai problème », dit-il, ajoutant craindre une réédition des émeutes de 2005.
Dans les prisons – où la consommation de cannabis avoisine les 35% selon un étude de l’OFDT -, plusieurs mutineries ont déjà éclaté après la suspension des parloirs la semaine dernière. Outre les problèmes d’hygiène que pose la surpopulation carcérale en pleine épidémie de coronavirus, les difficultés pour se procurer la drogue peuvent avoir joué un rôle dans l’apparition de violences, estime Thierry Colombié.