Johnson & Johnson retire son talc cancérigène aux USA, au Canada… mais pas au Maroc
Talc cancérigène: Johnson & Johnson retire ses produits de la vente aux États-unis, au Canada… mais pas au Royaume du Maroc
Mardi 19 mai 2020, après plusieurs années de guerre judiciaire, le groupe pharmaceutique et de produits d’hygiène américain Johnson & Johnson a décidé de retirer de la vente aux Etats-Unis et au Canada son talc pour bébé, accusé de contenir des substances cancérigènes. Qu’en est-il au Maroc? C’est une première belle victoire décrochée par les milliers de plaignants qui accusent depuis quelques années l’entreprise américaine Johnson & Johnson de produire et de commercialiser du talc contenant de l’amiante et provoquant, de fait, des cancers. L’entreprise a été condamnée à plusieurs reprises devant la justice.
L’entreprise n’en continuait pas moins à vendre ce produit, de surcroît utilisé pour les nourrissons, et à soutenir mordicus depuis plus d’un siècle que sa poudre pour bébé ne contenait pas d’amiante et ne causait aucun cancer. Ce n’est qu’en 1980, après que les défenseurs des consommateurs aient fait part de leurs inquiétudes sur le fait que le talc contenait des traces d’amiante, que l’entreprise a développé une alternative à la fécule de maïs qui, elle, continuera d’être commercialisée aux Etats-Unis. Toutefois, «la décision de suspendre les ventes du produit est une énorme concession pour Johnson & Johnson» estime le New York Times qui revient longuement sur l’affaire.
Suspendre les ventes n’est pas avouer!
Toutefois, ne nous y trompons pas, la décision de suspendre les ventes de ce produit ne constitue pas un aveu pour Johnson & Johnson qui entend poursuivre sa ligne de défense de la même manière. Ainsi, d’après un communiqué publié par le groupe américain, cette suspension des ventes aurait été décidée en raison… de la pandémie de Covid-19. Le communiqué diffusé par la marque américaine déclare ainsi que «dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, nous avons révisé notre portefeuille de produits afin de mettre la priorité sur les produits les plus fortement demandés.
Dans ce cadre, nous avons pris la décision d’arrêter définitivement la commercialisation de la poudre Johnson’s Baby® à base de talc, uniquement aux Etats-Unis et au Canada.» L’entreprise avance que la demande sur les marchés américain et canadien ne serait plus suffisante pour poursuivre la vente du talc pour bébé dans ces pays. Ce, suite à un changement des habitudes des consommateurs qui aurait entraîné une baisse des ventes et que Johnson & Johnson explique dans son communiqué par «la désinformation autour de la sécurité du produit et une publicité négative constante liée aux procédures contentieuses en cours».
Près de 20.000 plaintes en un mois
Et les plaintes sont effectivement nombreuses, principalement du côté des femmes qui accusent le produit de favoriser l’apparition de cancers de l’ovaire et de formes rares de cancers de la plèvre, les mésothéliomes, maladies caractéristiques de l’exposition à l’amiante. En mars de cette année, 19.400 plaignants ont ainsi intenté des actions en justice contre Johnson & Johnson devant les tribunaux américains. Mais la polémique ne date pas d’aujourd’hui.
En 2018, l’entreprise américaine avait déjà été condamnée par un tribunal de Saint-Louis à indemniser 22 femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire à raison de 4,7 milliards de dollars, rappelle le Wall Street Journal qui souligne par ailleurs que «Johnson & Johnson n’a pas indiqué que le retrait de la vente signifiait une résolution du litige». Pour preuve, malgré les plaintes, Johnson & Johnson a toujours soutenu que les tests effectués par l’accusation étaient défectueux ou réalisés par «des chercheurs mal équipés» rapporte le New York Times.
Le produit toujours vendu au Maroc
Et la firme américaine va encore plus loin en annonçant que le produit dont la vente est suspendue aux Etats-Unis et au Canada continuera en revanche à être vendu dans tous les pays où «il y a une demande importante de la part des consommateurs», et ce «jusqu’à épuisement» des stocks. Cela concerne donc la branche marocaine de la marque, implantée au Maroc depuis 1984. Quand elle est contactée, Johnson & Johnson Maroc adresse un email reprenant mot pour mot le communiqué de presse initial de la maison-mère
Johnson et Johnson spécifie toutefois que «la poudre pour bébé Johnson’s Baby® à base de talc sera toujours commercialisée dans le reste du monde, y compris au Maroc». Et la marque continue d’assurer de sa confiance en son produit: «Nous demeurons résolument confiants sur la sécurité de la poudre pour bébé Johnson’s Baby® à base de talc. Des décennies d’études scientifiques conduites par des experts médicaux dans le monde entier attestent de la sécurité de ce produit.»
Le talc et l’amiante, la combinaison fatale
Cette marque est bien implantée au Maroc, d’autant que ses produits pour bébé sont offerts en coffret naissance aux jeunes mamans dans des cliniques privées et que le talc vendu entre 16 et 40 dirhams reste abordable. Leila se souvient ainsi, à la naissance de son fils, avoir reçu des mains du personnel hospitalier un petit trousseau de la marque offert gracieusement. «Il y a avait un flacon de lait pour le corps, une huile de soin et du talc baby powder», raconte la jeune maman.
Celle-ci a décidé d’utiliser ses produits en premiers soins d’hygiène pour son bébé avant de choisir d’autres marques, cette fois-ci bio. Le talc, beaucoup de femmes au Maroc l’utilisent aussi, notamment pour ses propriétés adoucissantes, anti-irritation et humidité. Que ce soit sous les aisselles, entre les cuisses et jusque sur les parties génitales, nombreuses sont celles qui en font un usage quotidien pour éviter l’irritation de la peau liée à des frottements et éliminer les odeurs de transpiration.
Une pratique qui n’est pas spécifique au Maroc et que souligne aussi le New York Times s’agissant des femmes américaines. Bien que ce produit soit associé aux nourrissons et vendu dans les rayons bébés des commerces, «les femmes adultes ont été ses principales clientes au cours des dernières décennies, en l’utilisant sur leur périnée et pour éviter les frottements entre les jambes», explique le New York Times qui fait ainsi le lien avec la recrudescence de cancers de l’ovaire chez les femmes ayant utilisé du talc.
Pourtant, il convient de préciser que si le produit commercialisé par la marque américaine pose problème, c’est précisément parce qu’il contient du talc et donc de l’amiante. Car le lien établi entre le talc et l’amiante ne date pas d’hier et a déjà été abordé dans de nombreuses études et rapports à travers le monde, et pas uniquement aux États-Unis. La présence d’amiante dans le talc n’est pas un soupçon, c’est un fait de notoriété publique qui est avéré.
En effet, c’est au moment même de son extraction que le talc se trouve être contaminé, car comme l’explique le site Prévention amiante, «géologiquement talc et amiante peuvent naturellement se former l’un à côté de l’autre. Certaines mines d’où a été extrait le talc sont pointées du doigt, notamment, un gisement de l’État de New York aux États-Unis dont le talc est contaminé par de l’amiante», (en l’occurrence par de la trémolite, la forme la plus dangereuse d’amiante, NDLR). Précisons également que le talc n’existe pas qu’en poudre pour bébé, mais aussi sous d’autres formes. On le retrouve notamment dans des produits au rayon des cosmétiques (rouge à lèvres, mascara, fond de teint, fard à paupières), mais aussi à l’intérieur de gants, de céramiques et de plastiques…