Ceuta: des associatifs marocains en Espagne choqués du traitement des mineurs
Ceuta : Des associatifs marocains en Espagne choqués du traitement des mineurs
Dure semaine pour les Marocains d’Espagne avec la crise migratoire et l’escalade des tensions diplomatiques entre Madrid et Rabat. Partagés entre le destin parfois tragique de leurs 8 000 compatriotes, la défense de leur pays d’origine et les attaques des militants de l’extrême droite espagnole, ils témoignent de leur profond malaise.
Depuis le 17 mai, plus de 8 000 Marocains ont traversé la frontière maritime et terrestre de Ceuta depuis le Maroc. Côté marocain comme espagnol, le lien est fait avec l’accueil en catimini du chef du Polisario, Brahim Ghali, dans un hôpital du royaume ibérique sous une fausse identité, alors qu’il est poursuivi par la justice de Madrid.
Au milieu de l’imbroglio diplomatique et politique, la communauté marocaine en Espagne observe la situation avec des sentiments entremêlés.
Choqués de voir les images des enfants et des adolescents se précipiter vers la clôture frontalière ou nager jusqu’à la côte de Ceuta, certains acteurs de la société civile considèrent intolérable le fait de laisser passer aussi facilement des mineurs, de surcroît à l’insu de leurs parents.
En même temps, ils considèrent tout aussi intolérable la position adoptée depuis longtemps par le gouvernement espagnol à l’égard de son voisin du sud.
Ce sentiment mitigé part d’«un sentiment d’appartenance à un pays que l’on défend sur la scène internationale et dont l’appartenance ne peut laisser indifférents quand il s’agit de la dignité des compatriotes et surtout des enfants et des plus pauvres», a estimé Mohamed El Gheryb, président de l’Association des travailleurs immigrants marocains en Espagne (ATIM).
Au-delà des questions relatives au droit à la libre circulation et aux exigences réciproques de bon voisinage, ce militant considère que la situation sociale des citoyens vivant dans des zones en difficulté, comme les régions frontalières du Nord, ne peut faire l’objet d’une utilisation politique en pleine crise diplomatique.
900 mineurs livrés à eux-mêmes
«En tant que Marocains, nous avons été émus de voir les enfants de notre pays fuir leur patrie pour et se précipiter vers une autre», a confié Mohamed El Gheryb.
«Ils semblaient fuir sans rien, sans parents, sans affaires, sans aucune idée de ce que demain sera fait. Ils couraient simplement à l’idée de quitter leur terre espérant trouver mieux de l’autre côté de la frontière.
Sur ce principe, abstraction faite des pays, c’est profondément choquant et déplorable de savoir que la jeunesse d’un pays est à ce stade de désillusion.» Sur l’aspect politique de la crise entre le royaume du Maroc et l’Espagne, le président d’ATIM affirme que l’«on ne peut qu’appuyer le royaume du Maroc».
«Mais ce que nous ne concevons pas, c’est la façon douloureuse avec laquelle on voit la situation sociale de milliers de personnes et d’enfants exploitée et objet de surenchère», a-t-il souligné.
Et de préciser que «le Maroc est signataire de conventions internationales relatives à la protection des droits des enfants», au même titre que l’Espagne. «Qu’il s’agisse de quelques kilomètres de distance ou des milliers, ces mineurs ne se trouvaient techniquement plus sur le territoire national.
Venant d’un pays comme le Maroc, très fort diplomatiquement au niveau régional et respecté de ses partenaires, c’est déplorable», lache le militant. «Nous ne pouvons pas nous permettre, sur le plan international, de laisser passer des images pareilles.
Elles montrent que la dignité de nos citoyens marocains compte si peu», souligne-t-il encore. Sur le plan humain, le président d’ATIM rappelle que les 900 mineurs jusque-là identifiés à Ceuta ne sont pas que des chiffres.
«Derrière chacun d’eux, il y a une famille, des parents dont la souffrance est encore plus grande», a encore déploré le militant. Président de l’Association d’amitié du peuple marocain en Espagne, Mohamed Alami a quant à lui qualifié de «tragique» le décès de jeunes lors de cet exode.
«Cela ne se fait pas d’impliquer des mineurs dans les mouvements frontaliers, sans songer aux questions liées à leur protection, alors que nous étions en train de marquer des points importants sur le plan diplomatique.»
Chaque crise migratoire est du pain béni pour l’extrême droite
Dans un autre registre, Mohamed Ghryeb confie que cette crise a eu un impact sur les images véhiculées par les partis d’extrême droite sur les Marocains en Espagne. L’associatif affirme en effet que «ces formations se renforcent à travers ce genre de situation».
«Ils génèrent des discours de haine à l’encontre de la communauté, pour servir leur agenda électoraliste, ce qui crispe la cohabitation intercommunautaire, mais porte aussi atteinte au bon voisinage entre les deux pays», déplore-t-il.
Afin d’éviter toute récupération de l’extrême droite, le président d’ATIM appelle à la raison et à l’apaisement. Par ailleurs, il recommande que Rabat montre plus de fermeté sur les questions territoriales, en inscrivant leur défense dans une certaine pérennité. «Si la restitution de Ceuta et de Melilla est une cause juste.
Et que ces territoires sont marocains, alors il faudra soutenir cette position 365 jours par an et non pas de manière périodique et occasionnelle, en utilisant par ailleurs la vulnérabilité de nos concitoyens», affirme-t-il. Mohamed Alami a fustigé, pour sa part, la ministre des Affaires étrangères, Arancha González Laya : «Cette femme ment.
Elle a déjà essayé de faire monter les Marocains les uns contre les autres.» Pour lui, la cheffe de la diplomatie espagnole «a trahi son partenaire du sud à plusieurs reprises, alors que c’est sur lui qu’elle doit compter dans la lutte antiterroriste, contre le trafic transfrontalier et le crime organisé au niveau régional». «
De la même manière, les derniers faits en date témoignent qu’elle a nié au début la présence de Brahim Ghali en Espagne, même si elle savait qu’il y était bien hospitalisé», a encore souligné l’associatif.
Selon lui, l’apaisement d’une telle crise «nécessite que de vrais diplomates hautement qualifiés se saisissent sérieusement de la situation. Madame González n’est pas la personne la mieux placée pour trouver une solution».
Le président de l’ONG estime que la cheffe de la diplomatie espagnole a plutôt «des excuses à présenter impérativement au Maroc, pour tous les mensonges portés à l’égard de ce pays pendant longtemps». «Elle doit ensuite démissionner et le président du gouvernement doit également présenter des excuses et des explications sur le fond de cette crise de confiance», a encore soutenu Mohamed Alami.
«Des diplomates confirmés dans les deux pays, tels qu’Abdeslam Baraka et José-Luis Zapatero, seront certainement en capacité de rétablir les choses», propose-t-il, parallèlement à un appel lancé au dialogue direct entre les rois des deux pays.