Maroc: la pauvreté exacerbée par le Covid-19 et l’inflation
LA PAUVRETÉ AU MAROC EXACERBÉE PAR LE COVID-19 ET LA HAUSSE DES PRIX (INFLATION)
La pauvreté au Royaume du Maroc est reparti à la hausse ces dernières années avec les chocs économiques dus au Covid-19, aggravés par l’inflation galopante et à la terrible sécheresse. Pour analyser le dernier rapport du Haut-Commissariat au plan (HCP), voici les analyses des économiste Saâd Belghazi et Mohamed Chiguer.
*Le Haut-Commissariat au plan est l’organisme chargé de la production, de l’analyse et de la publication des statistiques officielles au Royaume du Maroc. Créé en 2003 sous le règne de Mohammed VI, il a remplacé le ministère du Plan et des Prévisions économiques.
Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a dévoilé, mercredi, sa note sur l’«évolution des inégalités sociales dans un contexte marqué par les effets de la COVID-19 et de la hausse des prix».
La note conclut que sous les effets de la crise sanitaire, le niveau de vie des ménages a annuellement régressé de 2,2% entre 2019 et 2021 et fait état d’une diminution des dépenses alimentaires, en équipements ménagers et de loisirs et une reprise des dépenses de santé et de communication.
Un repli du niveau de vie qui se serait traduit, selon le Haut-Commissariat au plan, par «une accentuation des inégalités sociales, de la pauvreté et de la vulnérabilité».
«La note se concentre sur les familles dont les revenus sont vulnérables ou insuffisants. Or, il y a beaucoup de familles dont les revenus dépendent du salariat qui vendent donc leur force de travail», explique l’économiste et professeur universitaire Saâd Belghazi.
«Dans les conditions actuelles, même ces salariés sont dans une situation précaire et peuvent perdre leurs emplois. Ce risque reste très important», estime-t-il.
L’expert ajoute que du côté des travailleurs indépendants, «le Covid-19 n’a pas vraiment touché le monde agricole, malgré la fermeture des marchés pendant quelques temps».
C’est plutôt «la sécheresse» qui a touché les zones où il n’y a pas d’irrigation et même d’autres où elle existe car «l’eau se faire rare».
«Les revenus se font difficiles malgré le fait qu’on a un marché de produits agricoles qui s’ajuste, avec des situations de pénurie, quand il y a un déficit», poursuit-il, en rappelant que les artisans restent, quant à eux, «sans protection sociale».
Dans son analyse, Saâd Belghazi insiste sur la mobilité sociale, absente de la note du Haut-Commissariat au plan.
«Il y a des gens qui réussissent dans leurs affaires, qui accumulent et qui font de l’argent, qui achètent des terrains, qui spéculent,… On ne peut pas nier cette mobilité», explique-t-il en reconnaissant toutefois l’existence d’une «grande partie de personnes en situation vulnérables».
«Il y a une insuffisance d’information sur le nombre de personnes dans la classe moyenne qui se sont enrichies.
Nous n’avons pas de lecture vraiment précise de cet ‘ascenseur vers le haut’ et sa dimension, car il est moins visible. On sait que les grandes fortunes font des bénéfices importants avec cette classe moyenne.»
L’économiste et professeur indique que la classe moyenne «se maintient et est très importante».
«Nous pouvons le constater à travers des indices simples, comme le nombre de véhicules importés par exemple», note-t-il.
L’expert rappelle aussi que «la pandémie date déjà de deux ans, bien qu’elle a généré des déséquilibres à la chaîne».
«Actuellement, c’est plutôt le système économique qui souffre, avec son système de financement, car il n’y a pas eu d’amortisseurs de crise», contrairement à la période durant la crise sanitaire.
Toutefois, il estime que le problème se pose aujourd’hui du côté «du partage des revenus».
L’économiste Mohamed Chiguer est critique quant à l’avis du Haut-Commissariat au plan.
«Le processus de dégradation s’est déclenché avec le Covid-19. L’inflation est due essentiellement à la pandémie, avec la perturbation de l’approvisionnement et de la production», considère-t-il.
Il souligne son «amplification avec la guerre en Ukraine et la sécheresse». Dans ce sens, il pense qu’il reste «difficile de jauger et faire la différence entre les effets du Covid-19 et ceux de l’inflation».
Il souligne que «de l’autre côté, il ne faut pas oublier que pour ceux ayant des revenus fixes et pour les personnes aisées, la pandémie a été l’occasion pour épargner».
Il cite notamment les «montants exceptionnels des transferts des Marocains résidant à l’étranger, depuis l’étranger» ainsi que «l’achat des voitures» comme exemples.
«Même actuellement, la classe moyenne continue de supporter l’augmentation des prix des carburants alors qu’on la croyait écrasée», abonde-t-il.
Mohamed Chiguer estime ainsi qu’il «est difficile de quantifier» et qu’on «ne peut que constater».
«Il est vrai que les personnes ayant des revenus variables ou limités ont été malmenées. Cela montre d’ailleurs que le Maroc n’arrive pas jusqu’à maintenant à régler les problèmes économiques.
Car, à en croire les paramètres des subventions accordées par l’Etat pendant la crise sanitaire, environs deux tiers des Marocains sont dans la vulnérabilité.»
Pour l’économiste, si la note du Haut-Commissariat au plan indique que le Royaume du Maroc est revenu aux niveaux de 2014 pour ce qui est de la pauvreté et de la vulnérabilité, «cela veut dire que ce que nous avons réalisé pendant 7 ans n’était pas solide et fondé et qu’il pouvait être emporté par une crise ou une sécheresse». «
Il suffit de voir la part de l’économie non observable (informelle, ndlr) qui représente plus de 40% du Produit Intérieur Brut.
Tant que le Royaume du Maroc ne s’industrialise pas, rien ne peut marcher», tranche l’économiste.
Mais l’expert précise que «l’industrialisation ne signifie pas d’avoir des usines à Kénitra et à Tanger».
L’économiste explique en insistant sur l’importance du «transfert des technologies» qu’ «il s’agit d’un processus basé sur: une école publique de qualité, un secteur Recherche & Développement très dynamique et transformer tout ce qui est invention en innovation»,