Des lacunes dans la gestion du cadre climatique au Maroc
Maroc : le cadre juridique climatique en vigueur est incomplet
Le dernier rapport 2023-2024 de la Cour des comptes*, cité par le quotidien L’Economiste, met en lumière les lacunes significatives dans la gestion du cadre climatique au Maroc. Loin des déclarations officielles et des promesses répétées, le document dévoile des insuffisances structurelles majeures, mettant en doute l’efficacité des engagements pris par le gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique et de préservation de l’environnement.
*La Cour des comptes est une juridiction financière marocaine prévue par l’article 147 de la Constitution et chargée principalement de contrôler la régularité des comptes publics de l’État, des entreprises publiques, des communes ainsi que des partis politiques marocains.
Un cadre juridique climatique incomplet et peu contraignant
Le rapport souligne que le cadre législatif et réglementaire en vigueur demeure insuffisant pour encadrer efficacement les efforts climatiques du pays. Ce cadre est jugé incomplet, car il ne fixe pas de cibles nationales précises ni d’objectifs chiffrés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ou d’adaptation aux effets du changement climatique.
De plus, la répartition des rôles et responsabilités entre les différents acteurs impliqués, que ce soit à l’échelle nationale ou territoriale, n’est ni clairement définie ni juridiquement contraignante. Cette absence de clarté contribue à une dilution des responsabilités et à un manque d’imputabilité dans la mise en œuvre des politiques climatiques.
La Commission nationale du changement climatique : un fonctionnement paralysé
Créée avec l’objectif de superviser et coordonner les actions climatiques au Maroc, la Commission nationale du changement climatique et de la diversité biologique a connu un démarrage tardif, avec un retard de plus de six ans depuis sa création théorique. Bien qu’institutionnalisée en 2020, elle ne parvient toujours pas à remplir efficacement ses missions.
La Cour des comptes pointe un manque de clarté dans :
– La composition de la commission.
– La définition de ses responsabilités et pouvoirs.
– Les ressources et moyens mis à sa disposition.
Cette gouvernance floue limite l’efficacité de cet organe censé piloter les efforts climatiques du pays de manière transversale.
Des mécanismes de suivi fragmentés et peu performants
Concernant l’évaluation des actions climatiques, le rapport critique la multiplication des mécanismes de suivi, initiés par le département du Développement durable, qui restent désorganisés et non interconnectés.
L’absence d’un système centralisé de collecte, de suivi et de diffusion des données climatiques empêche une vision d’ensemble cohérente et entrave la capacité à mesurer l’impact réel des politiques publiques.
Des stratégies climatiques sans indicateurs précis
Les différentes stratégies climatiques adoptées par le Maroc manquent de rigueur dans leur conception.
En effet, les plans d’action climatiques ne comportent pas systématiquement :
– D’indicateurs cibles spécifiques.
– Des objectifs mesurables et temporellement définis.
Cette imprécision méthodologique rend difficile l’évaluation des progrès accomplis et complique l’identification des ajustements nécessaires au fil du temps.
Un financement climatique mal structuré et opaque
En matière de financement des actions climatiques, la Cour des comptes relève de nombreuses défaillances structurelles :
– Absence d’une classification claire des investissements verts : Le Maroc ne dispose pas d’un cadre permettant d’identifier et de qualifier les investissements et activités respectueux de l’environnement.
– Manque de budget climatique formel : Le pays ne dispose pas d’un budget spécifique et sensible au climat qui permettrait de suivre et d’allouer précisément les ressources aux projets environnementaux.
– Insuffisance de l’information financière : Les dépenses climatiques recensées au niveau national sont limitées, non actualisées et incomplètes, ce qui entrave la transparence et le suivi des engagements financiers.
De surcroît, l’estimation des besoins financiers pour la mise en œuvre des politiques climatiques n’est pas accompagnée d’un calendrier clair pour la mobilisation des fonds, accentuant l’absence de visibilité sur la réalisation concrète des objectifs climatiques.
Des recommandations claires pour une action climatique plus efficace
Face à ce constat préoccupant, la Cour des comptes appelle à un changement de paradigme dans la gestion de la politique climatique du Maroc.
Elle recommande notamment :
– L’établissement d’objectifs climatiques clairs, mesurables, atteignables et temporellement définis.
– La mise en place d’un cadre de suivi et d’évaluation rigoureux, assurant la transparence et la responsabilité.
– Une meilleure structuration du financement climatique, avec des outils budgétaires dédiés et des indicateurs de performance précis.
– La réforme de la gouvernance climatique, incluant la redynamisation de la Commission nationale du changement climatique et la clarification de ses prérogatives.
Trois ans après l’investiture du gouvernement actuel, ces recommandations, si mises en œuvre de manière proactive, pourraient constituer un premier pas essentiel vers une véritable transition écologique et un développement durable au Maroc.